Constantino Aucca Chutas a commencé à s’intéresser à la protection de l’environnement il y a trente ans, lors d’un travail sur le terrain effectué à Cuzco, au Pérou, alors qu’il était étudiant en biologie.
À l’époque, les magnifiques versants des Andes péruviennes qui entouraient la ville étaient soumis à la pression de l’exploitation forestière illégale et de l’expansion des exploitations agricoles.
« La protection de la nature est devenue une nécessité », expliquait récemment M. Aucca lors d’un entretien avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Son désir de protéger la nature s’est renforcé sous l’impulsion de ses grands-parents, des agriculteurs indigènes quechuas. « Ils me disaient : "Constantino, ton nom de famille, ‘Aucca’, signifie 'guerrier'. Tu dois essayer de faire quelque chose pour nous, les agriculteurs." »
Constantino Aucca a donc consacré les 30 dernières années à honorer cette demande. Il mène, au sein des communautés locales, une action visant à protéger les forêts d’Amérique du Sud, indispensables pour lutter contre le changement climatique et abritant des espèces végétales et animales uniques.
La Asociación de Ecosistemas Andinos, fondée par M. Aucca en 2000, a aidé à la plantation de plus de 3 millions d’arbres au Pérou et à la protection ou à la restauration de 30 000 hectares de terres.
Pour récompenser ses efforts, M. Aucca s’est vu décerner le titre de « Champion de la Terre » dans la catégorie « Inspiration et action », la plus haute distinction environnementale décernée par les Nations Unies.
L’Amérique latine et les Caraïbes abritent certains des écosystèmes forestiers les plus riches en biodiversité du monde, mais plus de 40 % des forêts de la région ont été déboisées ou détériorées à cause de projets miniers, agricoles et de construction.
Le projet de protection de l’environnement de M. Aucca a permis aux communautés Indigènes, un groupe traditionnellement marginalisé, d’obtenir des droits sur leurs terres et de créer des zones protégées pour leurs forêts naturelles.
« Le travail avant-gardiste de Constantino Aucca Chutas nous rappelle que les communautés Autochtones sont en première ligne dans la lutte pour la protection de l’environnement », a déclaré Inger Andersen, directrice exécutive du PNUE. « Comptant parmi les meilleurs défenseurs de la nature, leurs contributions à la restauration des écosystèmes sont inestimables et ne sauraient intervenir à un moment plus crucial pour la planète. »
Restauration des « forêts de nuages »
La Asociación de Ecosistemas Andinos a mobilisé des milliers de personnes à Cuzco pour protéger et restaurer les anciennes forêts de Polylepis, qui dominaient autrefois les hautes Andes. Ces arbres « nuages » qui poussent jusqu’à 5 000 mètres au-dessus du niveau de la mer, à une altitude plus élevée que toutes les forêts du monde, jouent un rôle vital dans la lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité.
Ils abritent des espèces sauvages menacées, emmagasinent le carbone, stabilisent les sols et constituent une source d’eau pour les communautés agricoles situées en aval. Du fait de l’altitude à laquelle ils poussent , les forêts de Polylepis absorbent la brume et retiennent d’énormes quantités d’eau provenant des nuages, qui sont progressivement évacuées par la couverture de mousse, permettant ainsi le maintien du débit des ruisseaux de montagne.
De vastes zones des Andes étaient autrefois couvertes de Polylepis, il n’en reste plus que 500 000 hectares aujourd’hui, conséquence de décennies de déforestation pour la production de bois de chauffage, le pâturage du bétail, l’exploitation forestière et la construction de routes. La disparition de ces forêts de montagne a des répercussions sur la pénurie d’eau, affectant la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes.
Pour assurer la survie des futures générations d’agriculteurs indigènes, l’association créée par M. Aucca organise des festivals de plantation d’arbres chaque année à Cuzco. La journée commence par des rituels ancestraux issus du riche patrimoine inca de la région. Des musiciens soufflent dans des conques et frappent des tambours en hommage à la nature, tandis que les villageois gravissent les sentiers de montagne escarpés pour planter des arbres, certains portant des ballots de plants sur leur dos, d’autres des bébés.
« Lorsque nous plantons un arbre, nous rendons quelque chose à notre Mère la Terre. Nous sommes convaincus que, plus nous plantons d’arbres, plus les gens seront heureux. C’est une fête, un jour de bonheur », explique M. Aucca.
Récompenser les communautés locales
Pour récompenser leurs efforts de restauration des habitats menacés et de protection des oiseaux et d’autres espèces sauvages, Acción Andina aide les communautés à obtenir des titres de propriété pour leurs terres, ce qui leur assure une protection juridique contre l’exploitation par les compagnies forestières, minières et pétrolières.
Constantino Aucca et son équipe ont également créé des zones protégées, fait déplacer des médecins et des dentistes dans des villages de montagne reculés et équipé les communautés de panneaux solaires et de poêles en argile à combustion propre dans le but d’améliorer leur qualité de vie.
Le projet de M. Aucca en matière de régénération des écosystèmes va au-delà de son Pérou natal. En 2018, l’Asociación de Ecosistemas Andinos et l’organisation américaine à but non lucratif Global Forest Generation ont créé Acción Andina afin de développer le modèle de reboisement dirigé par la communauté dans d’autres pays andins.
En tant que président de Acción Andina, Constantino Aucca supervise désormais les plans ayant pour objectif de protéger et de restaurer 1 million d’hectares de forêts d’importance cruciale en Argentine, en Bolivie, au Chili, en Colombie et en Équateur, ainsi qu’au Pérou, au cours des 25 prochaines années. Son travail reflète parfaitement les objectifs de l’initiative Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes, qui appelle à une action mondiale pour prévenir, stopper et inverser la dégradation des écosystèmes.
Le bien commun
Des études montrent que la restauration de 20 millions d’hectares d’écosystèmes détériorés en Amérique latine et dans les Caraïbes pourrait générer des bénéfices de 23 milliards de dollars des États-Unis sur une période de 50 ans. Des écosystèmes prospères sont également essentiels pour maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C et aider les sociétés et les économies à s’adapter aux effets du changement climatique.
Le travail de M. Aucca repose sur son profond attachement à son héritage inca et aux principes incas de « Ayni et Minka », un engagement fort à travailler ensemble pour le bien commun, qui se retrouve dans les plans visant à intensifier le reboisement dans d’autres pays andins.
« Autrefois, nous étions le plus grand empire d’Amérique du Sud, uni par une seule culture, la culture inca. », explique M. Aucca. « Ce fut la première fois que nous nous sommes tous réunis. La deuxième fois que nous nous sommes réunis en un même mouvement, ce fut pour nous libérer du joug espagnol, pour revendiquer notre indépendance. Aujourd’hui, nous nous réunissons pour la troisième fois. Pourquoi ? Pour protéger un petit arbre. »
Lorsque, en 2019, le Trésor (ministère des Finances) du Royaume-Uni a contacté Sir Partha Dasgupta pour qu’il procède à une étude des aspects économiques de la biodiversité, une première pour un ministère des Finances semble-t-il, l’éminent économiste de l’université de Cambridge a accepté sans hésiter.
Pendant environ 18 mois, M. Dasgupta et son équipe ont combiné des preuves scientifiques, économiques et historiques avec une modélisation mathématique rigoureuse pour rédiger The Economics of Biodiversity: Dasgupta Review.
Publié en février 2021, ce rapport historique montre que la croissance économique a eu des conséquences dévastatrices pour la nature. Le rapport indique clairement que l’humanité est en train de détruire son bien le plus précieux, la nature, en vivant au-dessus des moyens de la planète et il insiste sur les estimations récentes selon lesquelles il faudrait 1,6 Terre pour maintenir le niveau de vie actuel.
« Les prévisions économiques parlent d’investissements dans les usines, du taux d’emploi, de la croissance [du produit intérieur brut]. Elles ne mentionnent jamais le sort réservé aux écosystèmes », explique Sir Partha Dasgupta, lauréat du prix « Champions de la Terre » 2022 du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) dans la catégorie « Science et innovation ». « Il est vraiment urgent que nous nous penchions sur la question dès maintenant », ajoute-t-il.
Ce rapport est l’aboutissement de quatre décennies de travaux au cours desquelles M. Dasgupta a cherché à repousser les limites de l’économie traditionnelle et à mettre en évidence le lien entre la santé de la planète et la stabilité des économies.
Le rapport The Economics of Biodiversity est la pierre angulaire d’un domaine en plein essor, connu sous le nom de comptabilisation du capital naturel, dans lequel les chercheurs tentent d’évaluer la valeur de la nature. Ces données peuvent aider les gouvernements à mieux comprendre les coûts économiques à long terme de l’exploitation forestière, de l’exploitation minière et d’autres industries potentiellement destructrices, renforçant ainsi les arguments en faveur de la protection de la nature.
« La contribution avant-gardiste de Sir Partha Dasgupta à l’économie au fil des décennies a permis de sensibiliser le monde à la valeur de la nature et à la nécessité de protéger les écosystèmes qui alimentent nos économies, assurent notre bien-être et enrichissent nos vies », a déclaré Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).
L’économie comme élément d’une « mosaïque »
Sir Partha Dasgupta est né en 1942 à Dhaka, l’actuelle capitale du Bangladesh (à l’époque, la ville faisait partie de l’Inde). Son père, le célèbre économiste Amiya Kumar Dasgupta, l’a énormément influencé dans sa carrière universitaire. Après avoir décroché une licence en physique à Delhi, M. Dasgupta a déménagé au Royaume-Uni, où il a étudié les mathématiques avant d’obtenir un doctorat en économie.
M. Dasgupta a contribué à structurer le débat mondial sur le développement durable et l’utilisation des ressources naturelles grâce à ses nombreuses contributions majeures à l’économie, pour lesquelles il a été fait chevalier en 2002.
« L’idée selon laquelle, tout autour de vous, se trouvent de véritables usines de la nature, produisant des biens et des services (les oiseaux qui pollinisent, les écureuils qui cachent les noix, et tout ce qui se trouve sous nos pieds) est magnifique », explique Partha Dasgupta.
« C’est une mosaïque déconcertante de choses qui se produisent, dont beaucoup sont inobservables. Et pourtant, elles constituent le milieu dans lequel les êtres humains et tous les organismes vivants peuvent survivre. La façon dont nous mesurons le succès ou l’échec économique, toute la morphologie de l’économie, doit être pensée en gardant cette mosaïque à l’esprit. »
L’amour de la nature
Selon M. Dasgupta, son intérêt pour l’idée de vivre de manière durable dans un monde aux ressources naturelles limitées remonte à son article désormais classique de 1969 intitulé On the Concept of Optimum Population. Dans les années 1970, l’économiste suédois Karl-Göran Mäler l’a encouragé à développer ses idées sur les liens entre pauvreté rurale et état de l’environnement et des ressources naturelles dans les pays les plus pauvres du monde, un sujet qui, à l’époque, était particulièrement absent du courant dominant de l’économie du développement.
Cela a conduit à d’autres explorations des relations entre population, ressources naturelles, pauvreté et environnement, travaux pour lesquels M. Dasgupta est devenu célèbre.
« J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler dans ce domaine », a-t-il déclaré. « L’une des raisons pour lesquelles cela a été plaisant est que je n’avais pas de concurrence. Personne d’autre ne travaillait sur ces sujets. »
Les prairies, les forêts et les lacs d’eau douce font partie des écosystèmes préférés de M. Dasgupta. Il est convaincu que les enfants devraient être initiés à l’étude de la nature dès leur plus jeune âge et que cette matière devrait être obligatoire tout comme la lecture, l’écriture et les mathématiques. « C’est ainsi que l’on peut générer un certain amour de la nature. Si vous aimez la nature, vous aurez moins tendance à la saccager », expliquait-il.
Une richesse inclusive
M. Dasgupta est convaincu de la nécessité de renoncer au produit intérieur brut (PIB) comme mesure de la santé économique des pays, car celui-ci ne reflète qu’une partie de la réalité. Il plaide plutôt en faveur du concept de « richesse inclusive », qui prend en compte non seulement le capital financier et le capital produit, mais aussi les compétences de la main-d’œuvre (capital humain), la cohésion au sein de la société (capital social) et la valeur de l’environnement (capital naturel).
Cette idée est ancrée dans le Système de comptabilité économique et environnementale, programme soutenu par les Nations Unies, qui permet aux pays de suivre les actifs environnementaux, leur utilisation dans l’économie et les flux de retour de déchets et d’émissions.
Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a élaboré l’Indice de richesse inclusive. Désormais calculé pour environ 163 pays, cet indice montre que la richesse inclusive s’est accrue de 1,8 % en moyenne entre 1992 et 2019, un taux bien inférieur à celui du PIB, en grande partie à cause du déclin du capital naturel.
La nature comme capital
Reflétant la priorité de l’initiative Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes, qui vise à prévenir, stopper et inverser la dégradation des écosystèmes, l’ouvrage de M. Dasgupta intitulé Economics of Biodiversity met en garde contre le fait que des écosystèmes essentiels, des récifs coralliens ou des forêts tropicales, sont en passe d’atteindre des points de basculement dangereux, avec des conséquences catastrophiques pour les économies et le bien-être des populations.
Ce rapport de 600 pages appelle à repenser fondamentalement la relation entre l’humanité et la nature et la valeur qui lui est accordée, soulignant que le refus d’inclure les « services écosystémiques » dans les bilans nationaux n’a fait que renforcer l’exploitation de la nature.
« [Il faut] inclure la nature comme capital dans la réflexion économique et démontrer que les possibilités économiques dépendent entièrement de cette ressource limitée », a déclaré M. Dasgupta.
Dès l’enfance, la Dre Purnima Devi Barman, lauréate du prix « Champions de la Terre » de cette année dans la catégorie « Vision entrepreneuriale », a développé un intérêt pour les cigognes, un intérêt qui allait se transformer en véritable passion.
À l’âge de cinq ans, elle fut confiée à sa grand-mère, qui vivait sur les rives du fleuve Brahmapoutre, dans l’état indien de l’Assam. Séparée de ses parents et de ses frères et sœurs, la jeune fille était inconsolable. Pour la distraire, sa grand-mère, une agricultrice, commença à l’emmener dans les rizières et zones humides avoisinantes pour lui faire découvrir les oiseaux qui y vivaient.
« J’y ai découvert les cigognes ainsi que de nombreuses autres espèces. Elle m’a appris à reconnaître le chant des oiseaux. Elle me demandait de chanter pour les aigrettes et les cigognes. C’est ainsi que je me suis prise de passion pour les oiseaux », explique Purnima Devi Barman, spécialiste de la biologie de la faune sauvage, qui a consacré une grande partie de sa carrière à la protection du marabout argala, la deuxième espèce de cigogne la plus rare au monde.
Une espèce en sursis
Actuellement, on estime à moins de 1 200 le nombre de marabouts argala adultes vivant dans la nature, soit moins de 1 % de leur population il y a un siècle. Le déclin spectaculaire de leur population est en partie dû à la destruction de leur habitat naturel. Les zones humides où les cigognes prospèrent ont été asséchées, polluées et dégradées, remplacées par des bâtiments, des routes et des tours de téléphonie mobile à mesure que l’urbanisation des zones rurales s’est accélérée. Les zones humidesabritent une grande diversité de vie animale et végétale, mais dans le monde entier, elles disparaissent trois fois plus vite que les forêts en raison des activités humaines et du réchauffement climatique.
Le conflit entre l’homme et la faune sauvage
Après un master en zoologie, Barman a entamé un doctorat sur le marabout argala. Mais, constatant l’extinction d’un grand nombre des oiseaux avec lesquels elle avait grandi, elle décida de reporter sa thèse pour se consacrer à la préservation de l’espèce. Elle lança une campagne de protection du marabout en 2007, en se concentrant sur les villages du district de Kamrup, dans l’état de l’Assam où la population d’oiseaux est la plus importante et la moins bien acceptée.
Ici, le marabout est victime de son caractère charognard : il se nourrit de carcasses, rapporte des os et des animaux morts dans les arbres où il niche (dont beaucoup poussent dans les jardins), et produit des excréments malodorants. Ces oiseaux mesurent environ 1,50 mètre de haut et leur envergure peut atteindre 2,40 mètres. Les villageois préfèrent souvent couper les arbres de leur jardin plutôt que de laisser les marabouts y nicher. « Cet oiseau était totalement incompris. On voyait en lui un mauvais présage, un signe de malchance ou un porteur de maladie », explique Dre Barman, qui a elle-même fait l’objet de moqueries pour avoir tenté de sauver les colonies de nidification.
Selon un rapport publié en 2021 par le Fonds mondial pour la nature (WWF) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), les conflits entre l’être humain et la faune sauvage constituent l’une des principales menaces pour les espèces sauvages. Ces conflits peuvent avoir des répercussions irréversibles sur les écosystèmes qui permettent toute vie sur Terre. L’initiative Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes est une opportunité de mobiliser la communauté mondiale pour restaurer l’équilibre dans la relation entre l’homme et la nature.
« Hargila Army »
Pour protéger le marabout, Dre Barman savait qu’elle allait devoir changer la façon dont est perçu cet oiseau, connu localement sous le nom de « hargila » en assamais (ce qui signifie « avaleur d’os »). Elle mobilisa donc un groupe de villageoises pour l’aider.
Aujourd’hui, « Hargila Army » compte plus de 10 000 femmes. Elles protègent les sites de nidification, soignent les cigognes blessées tombées du nid et organisent des « baby showers » pour fêter l’arrivée des nouveau-nés. Le marabout argala apparaît régulièrement dans les chansons folkloriques, les poèmes, les festivals et les pièces de théâtre.
Dre Barman a également aidé les femmes à se procurer des métiers à tisser et du fil afin qu’elles puissent créer et vendre des textiles décorés à l’effigie du marabout argala. Cet engagement permet non seulement de faire connaître cet oiseau, mais aussi de contribuer à l’indépendance financière des femmes, de renforcer leurs moyens de subsistance et de leur inculquer la fierté et le sentiment d’appartenance grâce à leur travail pour sauver les marabouts.
Depuis le lancement du programme de protection de Dre Barman, le nombre de nids dans les villages de Dadara, Pachariya et Singimari, dans le district de Kamrup, est passé de 28 à plus de 250, ce qui en fait la plus grande colonie de reproduction du marabout argala au monde. En 2017, Dre Barman a lancé la construction de hautes plateformes de nidification en bambou pour que les oiseaux en voie de disparition puissent couver leurs œufs. Ses efforts ont été récompensés quelques années plus tard lorsque les premiers poussins de marabouts argala ont éclos sur ces plateformes expérimentales.
Restauration des écosystèmes
Pour DreBarman, la protection du marabout argala passe par la préservation et la restauration de son habitat. Grâce à la Hargila Army, les communautés ont planté 45 000 arbustes à proximité des arbres de nidification des cigognes et des zones humides dans l’espoir qu’ils puissent accueillir de futures populations de marabouts. Il est prévu de planter 60 000 arbustes supplémentaires l’année prochaine. Ces femmes mènent également des campagnes de nettoyage sur les berges des rivières et dans les zones humides dans le but de débarrasser l’eau du plastique et de réduire la pollution.
« Le projet avant-gardiste de conservation de Purnima Devi Barman a permis à des milliers de femmes de s’émanciper, de créer des entreprises et de renforcer leurs moyens de subsistance tout en sauvant le marabout argala de l’extinction », a déclaré Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). « Les travaux de Dre Barman ont montré que les conflits entre l’être humain et la faune sauvage peuvent être résolus dans l’intérêt de tous. En soulignant les effets néfastes de la disparition des zones humides sur les espèces qui s’y nourrissent et s’y reproduisent, elle nous rappelle l’importance de protéger et de restaurer les écosystèmes. »
Dre Barman déclare que l’une de ses plus grandes récompenses a été le sentiment de fierté qui a été insufflé à « Hargila Army » et elle espère que son succès inspirera la prochaine génération de défenseurs de l’environnement à poursuivre leurs rêves. « Être une femme engagée dans la protection de l’environnement dans une société dominée par les hommes est un défi, mais « Hargila Army » a démontré que les femmes peuvent faire bouger les choses », a-t-elle déclaré.
Cécile Bibiane Ndjebet a grandi dans une région reculée du Cameroun et avait une conscience aiguisée des difficultés auxquelles font face les femmes rurales. Elle a vu sa mère et d'autres femmes travailler de l'aube au crépuscule, pour cultiver, s'occuper des animaux et élever les enfants. Beaucoup d'entre elles effectuaient un travail éreintant sur des terres qu'elles ne pourraient jamais posséder en raison des pratiques socioculturelles traditionnelles.
"Je me suis rendu compte que les femmes affrontaient beaucoup de difficultés", se souvient Cécile Ndjebet. "Je voulais protéger ma mère et défendre les intérêts de ces femmes rurales, pour améliorer leurs conditions de vie. Elles souffraient trop."
Ces premières expériences ont façonné la vie de Cécile Ndjebet. Cécile allait par la suite devenir une voix majeure pour les droits fonciers des femmes en Afrique, passant trois décennies à défendre l'égalité des sexes tout en prenant soin de centaines d'hectares abîmés par le développement. Plus de 600 hectares de terres dégradées et de forêts de mangrove ont été restaurées sous sa direction de Cameroon Ecology, une organisation qu'elle a co-fondée en 2001.
Afin de reocnnaître cette réussite, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a nommé Cécile Ndjebet Championne de la Terre dans la catégorie "inspiration et action", le prix environnemental le plus important décerné par les Nations unies.
L'humanité a considérablement modifié les trois quarts des terres arides de la planète, abattant les forêts, asséchant les zones humides et polluant les rivières à un rythme que les experts jugent insoutenable.
Cécile Ndjebet fait partie des leaders du mouvement visant à réparer ces dommages.
Ses convictions ont débouché sur un projet de Cameroon Ecology visant à former des femmes pour faire revivre plus de 1 000 hectares de forêt d'ici à 2030.
Depuis 2009, Cécile Ndjebet est également à la tête des efforts visant à promouvoir l'égalité des sexes dans la gestion des forêts dans 20 pays africains en tant que présidente du Réseau des femmes africaines pour la gestion communautaire des forêts (REFACOF), une organisation qu'elle a cofondée. Les activités de plaidoyer de Mme Ndjebet, tant dans son pays qu'à l'étranger, visent à encourager une plus grande représentation des intérêts des femmes dans les politiques environnementales.
En 2012, elle a été élue championne de la cause du changement climatique de la Commission des forêts d'Afrique centrale pour son rôle de premier plan dans la mobilisation des organisations de la société civile en faveur de la gestion durable des forêts. Cécile Ndjebet est également membre du conseil consultatif de la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes, une initiative mondiale visant à redonner vie aux paysages dégradés.
Garantir la vitalité des forêts
Les femmes représentent près de la moitié de la main-d'œuvre agricole en Afrique subsaharienne et peuvent jouer un rôle clé dans la lutte contre la faim et la pauvreté. Pourtant, les femmes, en particulier dans les zones rurales, rencontrent souvent des problèmes pour posséder des terres ou en hériter après le décès de leur mari.
Malgré ce préjugé, les femmes continuent de protéger les écosystèmes forestiers dans des pays comme le Cameroun, où environ 70 % des femmes vivent en milieu rural et dépendent de la cueillette de fruits, de noix et d'herbes médicinales dans les forêts pour assurer un revenu à la famille.
"Les femmes sont vraiment le moteur de la restauration. Elles reboisent les zones dégradées, elles plantent des arbres, elles développent des pépinières. Elles pratiquent l'agroforesterie. Même celles qui pratiquent l'élevage ont des arbres. Elles maintiennent la forêt en vie", a déclaré Cécile Ndjebet.
REFACOF a aidé des groupes de femmes à reboiser des terres dégradées et des forêts de mangrove, à créer des pépinières et à planter des vergers au Cameroun et dans d'autres pays membres. Il s'est également efforcé de persuader les chefs de village d'autoriser les femmes à planter des arbres sur les terres côtières afin de les protéger contre la hausse du niveau des mers causée par le changement climatique.
Grâce à son travail de plaidoyer plus large, à l'échelle du continent, REFACOF a proposé des politiques forestières aux gouvernements de 20 États afin de garantir les droits des femmes dans la gestion des forêts et des ressources naturelles.
Des études ont montré que si les femmes des zones rurales avaient le même accès à la terre, à la technologie, aux services financiers, à l'éducation et aux marchés que les hommes, la production agricole de leurs exploitations pourrait augmenter de 20 à 30 %, ce qui suffirait à transformer des vies.
Mme Ndjebet a déclaré que lorsqu'elle a demandé aux femmes quels étaient leurs espoirs pour la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes, elles citent trois éléments : la reconnaissance et le soutien de leur rôle dans la restauration, l'accès aux financements et le partage des connaissances.
Mme Ndjebet dit avoir été guidée par une longue succession de femmes, dont sa grand-mère, sa mère et ses sœurs. Une rencontre avec Wangari Maathai, militante kenyane de l'environnement et première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la paix, lui a également laissé une impression durable qui a façonné son travail depuis lors.
Elle m'a dit : "Dites aux femmes africaines de prendre soin de leur environnement comme elles prennent soin de leurs enfants. Dites-leur de planter des arbres fruitiers. Ils leur donneront de la nourriture, de l'argent et les arbres resteront là pour l'environnement et pour l'humanité", se souvient Cécile Ndjebet.