La lumière du soleil décline rapidement dans ce petit village situé aux environs de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Les ombres se dessinent en longues lignes sombres sur une rangée ordonnée de maisons. Un groupe d'écoliers s'éloignent en courant dans les allées avant de rentrer chez eux, serrant leurs livres scolaires dans leur bras.
Devant l'une des maisons, Mariama Mamane est assise par terre dans la poussière, penchée au-dessus d'un générateur bleu. L'ingénieure en environnement, âgée de 29 ans, attache un grand sac carré bleu contenant du biogaz à un générateur munis de longs tuyaux.
Le générateur ne fonctionne pas. La détermination figée sur son visage, elle manipule une série d'outils pour tenter de faire démarrer la machine baptisée Jacigreen - le nom de la société fondée par Mariama en 2016. « Cela fonctionnera ! », affirme-t-elle.
Jacigreen s’attaque au problème des plantes envahissantes comme la jacinthe d’eau qui perturbe l’approvisionnement en eau de la ville. L'invention de Mariama consiste à retirer la jacinthe d’eau, la faire fermenter puis la transformer en un engrais et un compost destinés aux agriculteurs, appelée Jacigrow, disponible en bouteilles de 250 ml, 0,5 litre, 1 litre et 5 litres.
Le sous-produit de l’engrais est un gaz, que la machine Mamane capte dans des sacs carrés en plastique bleu, comme celui qu’elle essaye de relier au générateur, et qui est convertie en électricité pour les familles qui ne sont pas connectées au réseau.
Le prototype d’engrais et de biogaz de Mariama a maintenant atteint sa phase finale. Désormais, elle travaille avec les familles et les agriculteurs résidant aux alentours de l'Institut international d'ingénierie de l'eau et de l'environnement (2iE), où se trouve son prototype de biogaz, afin de tester les engrais et le biogaz.
À mesure que les ombres s'allongent et que la nuit approche, le générateur se met en marche. Une lumière flotte dans la maison et Mariama jubile doucement. En s'essuyant le front suite à une journée accablante de chaleur, elle entre dans le logement et inspecte l'ampoule fluorescente.
« Notre objectif est de fournir des solutions aux familles qui n’ont pas accès à l’électricité et qui utilisent du bois », explique-t-elle. « Le biogaz peut contribuer à réduire la déforestation et par conséquent l’empiètement du désert dans les villages. »
« Nous cherchons également à atteindre un nombre maximum d'agriculteurs pour réduire l'utilisation des engrais chimiques, en créant un écosystème résistant et des produits plus sains pour les consommateurs », dit-elle.
À l'horizon 2021, elle espère pouvoir fournir 500 ménages en biogaz et plus d'un millier d'agriculteurs en engrais. Elle est déterminée, ce qui lui a permis d'arriver là où elle est aujourd'hui : « Lorsque j'ai remporté le prix des jeunes champions de la Terre pour l'Afrique, j'ai eu beaucoup de difficultés à construire mon prototype au cours de cette aventure entrepreneuriale », explique-t-elle.
« Transformer cette idée en une solution concrète a nécessité beaucoup de recherche. J’ai été obligée de commander du matériel en Chine et en Allemagne car l'équipement nécessaire n’est pas disponible localement. J'ai dû tout faire toute seule afin de pouvoir élaborer ce prototype : qu'il s'agisse de la maçonnerie ou de la plomberie. Mais la récompense Jeune Champion de la Terre m'a encouragée et cela a été une expérience d'apprentissage inoubliable. »
« Il est primordial de persévérer lorsque une tâche semble impossible à mener à bien. Ne pas se décourager dans des moments pareils nous aide à évoluer et nous donne de l'énergie pour notre vie professionnelle. J'encourage toutes les autres filles et jeunes femmes à aller au-delà de leurs rêves et elles y parviendront », ajoute-t-elle.
Son expérience d’apprentissage a été recueillie par Robert Maleika, son mentor et responsable de la gestion stratégique de la propriété intellectuelle chez Covestro, un fabricant leader de matériaux polymères basé en Allemagne, qui contribue à faire du prix Jeunes champions de la Terre une réalité.
« Nous disposions déjà de solutions techniques adéquates à son problème, mais bien sûr, elles étaient développées pour de grandes installations de biogaz », explique-t-il. « Construire quelque chose à partir de zéro dans les zones rurales et reculées du Burkina Faso nous a poussés à trouver de nouvelles solutions qui n'étaient pas immédiatement évidentes », ajoute-t-il.
Mariama a rapidement envisagé les effets de son prototype sur la société rurale, expliquant que la valeur du biogaz réside dans son application dans les régions sans électricité et que les engrais réduisent les déchets et stimulent la production agricole sur de petites parcelles.
En entrant dans une longue salle de l’Institut international de génie de l’eau et de l’environnement à l’abri de la chaleur accablante, le professeur de Mariama, Harouna Karambiri, la salue chaleureusement. Les réussites de Mamane sont un message pour d’autres jeunes entrepreneurs, se réjouit-il. « Courage, travail acharné mais surtout curiosité vont permettre au projet d'aboutir. »
La jacinthe d’eau est l’une des mauvaises herbes aquatiques les plus envahissantes, résistantes et nuisibles au monde. Joakim Harlin, Chef de la division de l’eau douce d’ONU Environnement, affirme que la lutte contre les infestations était très difficile et nécessitait une approche fondée sur les écosystèmes d’eau douce, une gestion des terres et des eaux visant à réduire les éléments nutritifs qui nourrissent la mauvaise herbe.
« L’utilisation de la jacinthe d’eau à des fins commerciales et de subsistance, comme dans l’initiative prise par Mariama, aide non seulement à lutter contre les mauvaises herbes, à protéger l’environnement, mais aussi à transformer un problème en une source de revenus », souligne-t-il.
Alors que la lumière vacille dans son salon, Kadijatou Ouedraogo explique ce que signifie profiter de l'éclairage grâce au biogaz la nuit tombée.
« Les enfants peuvent faire leurs devoirs à la maison grâce à la lumière. Je fais également de l'huile de cuisine à partir de graines de sésame. Les graines de sésame brutes vendues au marché rapportent environ 80 centimes par jour. En les transformant en huile, je gagne environ 5 dollars des États-Unies par jour. »
Avec les bénéfices, Kadijatou envisage de créer une nouvelle entreprise pour vendre des vêtements. Déjà en train de préparer le terrain pour de nouvelles entreprises comme celle-ci, la puissance de Jacigreen ne fait que commencer.
Le Prix des jeunes champions de la Terre, sponsorisé par Covestro, est la principale initiative d'ONU Environnement qui a pour but d'inciter les jeunes à relever les défis environnementaux les plus pressants au monde. Les gagnants du concours 2019 seront annoncés en septembre. Plus d'informations ici.