En Inde, Shiva est le dieu de la destruction. Son rôle consiste à détruire l'univers et le recréer. Chaque matin, les cloches des temples hindous sonnent dans la brume. Le son se mêle aux chants, alors que des groupes de personnes se réunissent pour offrir des fleurs oranges et roses, du lait et de l'encens en offrande.
Tout comme le métal qui peut être fondu et moulé à nouveau en une belle statue, la force de Shiva ne réside pas dans le pouvoir de la destruction, mais dans la création de quelque chose de nouveau. Là où des perturbations existent, des opportunité de renouveau existent et les fidèles prient pour des opportunités et des changements positifs.
C'est ce qu'Ankit Agarwal, entrepreneur et finaliste régional du concours Champion de la Terre, avait en tête lorsqu'est née sa grande idée. En se trouvant vers le Gange, dont dépend plus de 400 millions de personnes et qui fournit de l’eau à 40% de la population indienne, il a réalisé un paradoxe.
Le Gange a une signification religieuse profonde pour les hindous. Des millions de personnes se baignent dans ses eaux, persuadées qu'elles les lavent de leurs péchés. Mais il est également très pollué.
« Alors que je pensais à ce paradoxe, un camion du temple a déposé des fleurs juste devant moi. Puis cela m’a frappé : c’est quelque chose que j’ai vu toute ma vie. Je ne pensais pas que les fleurs étaient une source de pollution. J'ai alors commencé à étudier le cycle de vie des fleurs et ce que j'ai appris m'a stupéfait », explique Ankit Agarwal.
Transformer les déchets floraux en encens
« Chaque jour, environ un demi-million de personnes se rendent dans les temples et font des offrandes de fleurs mais personne ne réfléchit vraiment à ce qu'elles deviennent ensuite », ajoute-t-il. « Plus de huit millions de tonnes de fleurs sont ainsi déversées dans le Gange chaque année, tout comme les pesticides et les insecticides toxiques utilisés pour les faire pousser. »
Ankit Agarwal récoltait jusqu'à 18 kilogrammes de fleurs par jour, dans les petits temples de Kanpur, en Utter Pradesh, l’état le plus peuplé d’Inde. Certains pensaient que c’était « de la folie », s'amuse-t-il. Il a pourtant fondé son entreprise sociale HelpUsGreen il y a trois ans, à l'aide d'un financement de 900 dollars des États-Unis.
Aujourd'hui, la société a levé un million de dollars des États-Unies d'investissements. Travaillant directement avec les temples du Gange voisin, l’initiative a permis de recycler 2 753 tonnes de fleurs avant même qu’elles ne pénètrent dans le fleuve et d'éviter l'intrusion d'environ 275 kilogrammes de résidus de pesticides à ce jour dans le fleuve.
Un petit camion se rend vers les locaux de l'usine, déversant des déchets floraux jaunes, oranges et roses dans des seaux provisoires. À partir de cette étape, les fleurs sont triées et aspergées d'extrait organique pour éliminer les pesticides dont elles sont couvertes, sont lavées et roulées en bâtonnets et cônes d'encens.
Deepak Mann a quitté Delhi pour travailler chez HelpUsGreen. « Les femmes travaillent avec le sourire. Tout le monde est heureux de travailler sur ce projet important visant à préserver le Gange de la pollution », affirme-t-il.
Aujourd'hui, l'entreprise emploient 79 femmes et Agarwal espère faire passer ce nombre à 5 000 à l'horizon 2020. La plupart d'entre elles travaillaient auparavant dans des endroits qui exigeaient d'elles des travaux manuels pénibles en ville ou en tant qu'employées sanitaires avec des revenus imprévisibles.
Une solution sociale
« Il ne s'agit pas uniquement de changer d'emploi et d'obtenir un salaire décent », explique Deepak Mann. « Les femmes ont l'impression que leurs péchés sont lavés en travaillant au recyclage des fleurs. Elles viennent d'horizons différents. Elles se désaltèrent ensemble, se nourrissent ensemble, en établissant la dignité, le respect et l'égalité. »
Les femmes reçoivent des cartes d'identité nationales et sont invitées à signer de leur nom, ce qui leur permet d'ouvrir un compte bancaire et d'obtenir une assurance maladie. Vivant dans des bidonvilles, et souvent analphabètes, elles n'auraient pas accès à ces avantages par leurs propres moyens.
Puja Sonkar était au chômage quand elle a entendu parler de HelpUsGreen par le biais d'un ami. Un an plus tard, elle possède sa propre carte bancaire et épargne pour envoyer ses enfants à l'école, afin qu'ils puissent devenir la personne dont ils rêvent.
Munni Devi a entendu parler de l'entreprise de fabrication d'encens par le biais de sa fille. « Je travaillais à l'hôpital voisin et mon salaire n'était pas payé en temps et en heure. Lorsque vous n'êtes pas payé à temps, vous devez emprunter. J'étais obligée de demander de l'eau froide à mes voisins. »
« Maintenant, je possède un réfrigérateur. Mes voisins me demandent même de l'eau. Je peux économiser de l'argent, ce que je ne pouvais pas faire auparavant, et nous en avons assez pour la nourriture et l'eau. Mes plus jeunes enfants, âgés de 12 et 15 ans, vont à l'école. Parce que nous sommes pauvres, c'est le seul moyen de sortir », dit-elle.
Le compost fabriqué à partir des fleurs fanées est vendu aux agriculteurs. Mais la véritable valeur réside dans la fabrication d'encens et de cônes organiques, sans charbon et sans produits chimiques. Des emballages biodégradables sont également fabriqués à partir des fleurs et des cuirs biologiques à base de fleurs sont en cours d’essais.
Rendre la grande idée plus grande
« Ma vision est de veiller à ce que tout le monde ait les mêmes droits et chances, affirme Ankit Agarwal.
Il envisage également de mettre en place un modèle de franchise d’entreprenariat à la micro-fleur, pour accélérer son évolution. « Pour résoudre ce problème de pollution, nous avons besoin d'au moins 10 000 personnes comme nous », a-t-il déclaré.
Feng Wang, responsable de programme à ONU Environnement pour la réflexion sur le cycle de vie, affirme : « Les déchets qui auparavant polluaient l'eau sont maintenant réintroduits dans l'économie, générant des revenus et des produits biologiques de plus grande valeur et créant ainsi des opportunités d'emploi et une nouvelle analyse de rentabilisation. C'est la pensée dont nous avons besoin pour un avenir durable avec une circularité et une toxicité moindre. »
Dans une petite salle destinée à l'emballage, les panneaux muraux décrivent 13 parfums, de l’orange et de la rose à l’eucalyptus et à la lavande. Des boîtes soigneusement conçues destinées aux clients de toute l'Inde contiennent des porte-encens colorés. Les fleurs détruites sont transformées et ont démarrent nouvelle vie.
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