« Maman, pourquoi je dois continuer à mettre ça ? Ça me fait mal à la bouche », se plaint Norik, âgé de 5 ans, à sa mère, Igballe, alors qu'elle lui fait enfiler un masque anti-pollution taille enfant.
Igballe Ferati, spécialiste dans le domaine de la finance, emmène tous les jours son fils Norik à l'école maternelle du quartier en passant par les rues du centre de Skopje, une ville où les niveaux de pollution de l'air sont régulièrement dangereux.
« J'ai vraiment peur pour la santé de mon enfant, je vérifie toujours le niveau de pollution de l'air grâce à l'application MojVozduh [MonAir] sur mon smartphone avant de sortir. Lorsque la pollution de l’air s’aggrave, surtout en hiver, je ne laisse pas Norik sortir. Je connais des parents qui ne permettent même pas à leurs enfants d’aller à l’école certains jours pour ne pas être exposés à la pollution de l’air. Nous sommes enfermés dans nos maisons avec des purificateurs d’air dans l’espoir que cela n’affectera pas la santé de nos enfants dans les années à venir », affirme Igballe.
« Nous sommes obligés de dire aux enfants qu'ils sont des super-héros pour qu'ils acceptent de mettre les masques. C'est trop difficile et triste d’expliquer cette situation à un enfant. »
Skopje, une ville de plus d’un demi million d’habitants située au centre de la péninsule balkanique au sud de l’Europe, a été classée parmi les villes d’Europe présentant la plus forte concentration de particules fines nocives (PM) 2,5 dans l'atmosphère par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Les particules fines 2.5 comprennent une variété de composants, tels que les nitrates, les sulfates, les produits chimiques organiques, les métaux, les poussières et le carbone noir, qui posent un risque pour la santé humaine. Elles pénètrent dans les poumons en raison de leur petite taille et sont connues pour causer des maladies cardiaques, pulmonaires et autres.
Les dernières données disponibles publiées par l'Organisation mondiale de la santé en 2018 indiquent un niveau moyen annuel de 40 microgrammes par mètre cube de PM 2,5 à Skopje, soit quatre fois le niveau recommandé de 10 µg/m³.
La base de données sur la pollution ambiante 2018 de l’Organisation mondiale de la Santé classe Skopje comme la capitale la plus polluée d’Europe en termes de concentrations moyennes de PM 10 et de PM 2,5.
De plus, Skopje souffre de pics de pollution atmosphérique. Par exemple, le 13 novembre 2018, l’Agence européenne pour l’environnement a qualifié la qualité de l'air de la municipalité de Karop à Skopje de « très médiocre ». Les niveaux enregistrés ont atteint jusqu'à 104,6 µg/m3 de PM 2,5, soit plus de 10 fois les niveaux recommandés par l'Organisation mondiale de la santé.
L'organisation estime que 2 574 personnes meurent prématurément en Macédoine chaque année en raison de la pollution atmosphérique.
Causes de la pollution de l'air à Skopje
Les causes de la pollution de la ville sont attribuées à un mélange de combustion de charbon, de mazout et de poêles à bois dans les ménages, de combustion des déchets à ciel ouvert, d’émissions provenant du vieillissement de l’industrie et de vieux véhicules très polluants.
La ville est en effet dépendante du charbon de lignite pour se chauffer pendant les hivers, un héritage de la période yougoslave.
De nombreux habitants de Skopje n'ont pas les moyens d'adopter des systèmes de chauffage plus propres et plus durables et dépendent donc de systèmes moins chers et plus polluants, tels que le bois.
La géographie de Skopje, entourée de montagnes, implique également que l’air pollué ne circule pas. Skopje est particulièrement touchée par la pollution en hiver qui a plusieurs fois contribué à la fermeture de l’aéroport de la ville.
« Lorsque le niveau de pollution de l’air augmente, l'une des conséquences est un goût métallique acide dans la bouche », déclare Hristijan Gjorgievski, employé de bureau à Skopje.
L'appel pour des solutions sans réponse
De nombreuses manifestations publiques ont eu lieu à Skopje ainsi que dans une ville du nord du pays, Tetovo, appelant les autorités à prendre des mesures pour lutter contre la pollution de l'air dans ces régions.
« Nous avons beaucoup parlé des dommages causés par les changements climatiques à long terme, mais nous devons examiner les dommages causés actuellement par la pollution atmosphérique, à Skopje et aux personnes qui y vivent », a déclaré Ana Čolović Lesoska, Eko-svest [Sens-Éco], une organisation à but non lucratif qui défend la protection de l'environnement. « Beaucoup de citoyens en ont assez de l'inaction face à la pollution de l'air, la société civile à travers le pays se soulève pour susciter plus de changement. »
Les jours de forte pollution atmosphérique dans la ville, les autorités de Skopje appliquent des mesures d’urgence, telles que l'attribution de jours de congé pour les femmes enceintes et les femmes de plus de 60 ans, ainsi que pour les personnes souffrant d’asthme chronique et de maladies connexes. La ville a également proposé la gratuité des transports pour certains jours à risque et annulé des événements sportifs.
Cependant, il faut traiter les causes profondes de la pollution. La ville encourage les citoyens à abandonner les systèmes de chauffage polluants, tels que les poêles à bois, au profit des granulés et envisage de mettre en place des systèmes mise à la casse des voitures plus anciennes et polluantes. Si les ménages brûlaient du bois traité au lieu de bois jeune et humide, cela réduirait également les émissions de fumée.
« Une approche intégrée est vraiment nécessaire et il n’y aura pas de solution miracle pour les villes comme celle de Skopje », déclare Rob de Jong, chef de l’unité Qualité de l’air et mobilité du personnel d'ONU Environnement. « Le programme Partager la route d’ONU Environnement est axé sur la conception de villes pour les piétons, afin de faciliter la tâche de ceux qui se déplacent à pied et en vélo tout en essayant de réduire la dépendance de tous aux véhicules polluants. »
La Banque européenne pour la reconstruction et le développement a approuvé un projet de 13,5 millions de dollars américains visant à moderniser les anciens bus diesel de Skopje en bus alimentés au gaz naturel comprimé à faibles émissions. Le gouvernement lui-même a approuvé un programme de 1,8 million de dollars US en novembre 2018 pour lutter contre la pollution atmosphérique.
Comme le chauffage domestique représente 32% de la pollution de la ville, le bureau du Programme des Nations Unies pour le développement à Skopje collabore avec les partenaires nationaux pour concevoir des solutions rentables visant à réduire la pollution de l’air causée par les systèmes de chauffage polluants.
« J'ai vraiment peur des effets à long terme sur la santé des enfants qui grandissent à Skopje », déclare Igballe. « Ma famille et moi devons nous éloigner de la ville le week-end à la recherche d'un air pur. Cela a une influence sur nos vies et notre budget. »
« Ce qui est clair, c’est que si les autorités ne réagissent pas en temps voulu en adoptant une approche sérieuse et structurée en matière de réduction de la pollution de l’air dans les villes, les conséquences pour les familles vivant dans des villes comme Skopje seront graves. »
ONU Environnement et le gouvernement de la République de Serbie, avec le soutien du ministère italien de l'Environnement, de la Terre et de la Mer, organisent une conférence ministérielle sur le thème « Des solutions innovantes pour lutter contre la pollution dans le sud-est et le sud de l'Europe » qui aura lieu les 4 et 5 décembre 2018 à Belgrade, Serbie.