Sur la côte des Émirats arabes unis, des douzaines de coraux se cramponnent à une structure métallique de la taille d’une table, qui a été installée au fond de la mer.
Alors que les coraux continuent de danser lentement au gré du courant, Hamad Al Jailani, spécialiste des sciences de la mer au sein de l’Agence d’Abou Dhabi pour l’environnement (Environment Agency – Abu Dhabi, EAD), en équipement de plongée, saisit un des coraux et l’inspecte. Il montre à une personne en train de filmer comment les coraux, un ensemble de petits animaux sensibles à la chaleur, survivent dans les eaux très chaudes du golfe Persique.
La plongée de M. Al Jailani fait partie d’une initiative qui pourrait avoir des implications importantes pour l’avenir des océans mondiaux et la santé de leurs écosystèmes bleus interconnectés. L’EAD étudie la résistance des coraux locaux à la chaleur, certains ayant survécu à deux fortes vagues de chaleur marines intervenues au cours des dernières années. Les travaux de l’EAD sont axés sur une hypothèse encourageante : si des coraux fragiles peuvent vivre dans le golfe Persique, la mer la plus chaude du monde, ils pourraient peut-être également survivre aux changements climatiques dans d’autres régions du monde.
Ces recherches ont lieu tandis que les changements climatiques font surchauffer les océans, mettant en péril les coraux. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a averti qu’un réchauffement climatique de 1,5 °C menacerait 70 à 90 % des coraux d’extinction. En cas de hausse des températures de 2 °C, 99 % de ces villes sous-marines pourraient disparaître. Étant donné que les récifs coralliens soutiennent un quart de la vie marine, il s’agit d’une menace sérieuse pour les communautés dont les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire dépendent des espaces marins.
« Ce que les coraux parviennent à supporter ici ressemble à ce que pourraient devoir affronter les coraux d’autres régions du monde en raison de la poursuite du réchauffement climatique », déclare M. Al Jailani. « Il est extrêmement important de comprendre comment ces coraux réussissent à supporter ces conditions et d’essayer de reproduire ce mécanisme dans d’autres lieux autour du globe. »
Le projet de réhabilitation des coraux lancé en 2021 entre dans le cadre d’efforts de restauration possédant plusieurs composantes entrepris par l’EAD supposant également des mesures visant à reconstituer les stocks halieutiques et à remettre en état les écosystèmes côtiers qui leur sont profitables.
Cette initiative a été reconnue comme l’un des premiers Fleurons de la restauration mondiale dans le cadre de la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes, un mouvement mondial visant à stopper et inverser la dégradation de l’environnement et encourager les activités humaines qui protègent et favorisent la nature.
« La restauration d’habitats donne à la nature une chance de s’adapter et, espérons-le, de se rétablir, compte tenu des effets des changements climatiques que nous ne pouvons malheureusement plus éviter », souligne Leticia Carvalho, Responsable du Service des eaux marines et douces du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). « L’étude de la résistance des coraux du golfe Persique, et d’autres récifs résistants à la chaleur, pourrait révéler des secrets susceptibles de nous aider à mieux protéger et restaurer des écosystèmes de tous types et à produire ainsi des avantages considérables pour les populations et la planète. Néanmoins, nous ne devons pas perdre de vue qu’il est urgent de réaliser les objectifs de l’Accord de Paris et du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, et de s’attaquer aux facteurs de pression à l’échelle locale, afin de garantir que la nature peut continuer de fonctionner. »
Reconstituer les stocks halieutiques
Pour cela, à Abou Dhabi et dans d’autres zones des Émirats arabes unis, il est nécessaire de combattre l’incidence négative de l’urbanisation rapide et du développement économique, notamment par l’entremise d’importantes activités de restauration des terres et de dragage. La surpêche a également une incidence sur les écosystèmes côtiers.
L’EAD surveille les stocks halieutiques depuis plus de 20 ans. Les membres de l’équipe, dont fait partie la scientifique Noora Albalooshi, se rendent régulièrement sur les lieux de débarquement des pêches, afin d’évaluer la composition des captures, de prélever des échantillons à analyser en laboratoire et d’interroger les personnes au plus près du problème.
« Au cours des dernières années, nous avons observé un déclin très marqué du niveau moyen des stocks halieutiques, et cette observation ne repose pas seulement sur des données et études scientifiques. Nous avons également corroboré ce constat avec des pêcheurs », précise Mme Albalooshi.
Depuis 2018, l’EAD a réagi en prenant des mesures, notamment en interdisant certains types d’engins de pêche, permettant à davantage de poissons appartenant à des espèces surexploitées d’atteindre le stade adulte et de se reproduire.
« Depuis, nous avons constaté des hausses incroyables de tous nos indices clés », ajoute Mme Albalooshi.
Un réseau d’écosystèmes
La restauration des écosystèmes interconnectés contribuant à la vie marine est essentielle pour favoriser la reconstitution des stocks halieutiques d’Abou Dhabi.
Environ 7 500 hectares de mangroves, des nurseries vitales pour beaucoup de poissons et un habitat pour bien d’autres espèces, ont déjà été restaurés et l’EAD commence un projet prévoyant de revitaliser 1 000 hectares de praires marines d’ici 2030. Les mangroves et les prairies marines stockent de grandes quantités de carbone, ce dernier étant à l’origine de perturbations climatiques.
Ce plan donne une lueur d’espoir en ce qui concerne les efforts de protection des dugongs, des mammifères marins rares qui dépendent des herbiers marins et ont disparu de plusieurs lieux où ils étaient très présents. Le golfe Persique abriterait la deuxième plus grande population au monde de ces herbivores ressemblant à des dauphins, qui sont plus proches des éléphants que de toute autre espèce.
Selon les personnes impliquées dans cette campagne, assurer la survie des coraux, des dugongs et d’autres espèces menacées dans le golfe Persique et le reste du monde exigera des ressources et de la persévérance. Elles soulignent toutefois que cette campagne est déterminante parce que les changements climatiques et la dégradation des écosystèmes bleus s’accélèrent.
« Je vois des coraux ici, en première ligne des changements climatiques », indique M. Al Jailani, le spécialiste des sciences de la mer. « Les conditions observées ici pourraient se retrouver dans des lieux comme l’Australie d’ici la fin du siècle. Je sais que ce projet comporte beaucoup de risques. Mais je crois que les risques liés à l’inaction sont plus importants. »
À propos de la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes
L’Assemblée générale des Nations unies a annoncé que les années 2021 à 2030 seraient celles de la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes. Dirigée par le PNUE et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, avec le soutien de partenaires, cette Décennie vise à prévenir, stopper et inverser la perte et la dégradation des écosystèmes dans le monde entier. Son but est de faire revivre des milliards d’hectares, couvrant les écosystèmes terrestres et aquatiques. La Décennie des Nations Unies est un appel mondial à l’action et rassemble le soutien politique, la recherche scientifique et les moyens financiers nécessaires pour intensifier massivement la restauration.