Mahmoud Hamidoune, un paysan âgé de 63 ans, se met à l’abri de la pluie sur les sommets de la pointe sud d’Anjouan, aux Comores, et se souvient du temps où il faisait si froid que les habitants de cette région restaient chez eux. Se rendre dans les hauteurs pour s'occuper des terres était appelé "aller à Paris".
Lorsqu'il était enfant, les terres autour du village de Hadda étaient si luxuriantes et les pluies si régulières que les récoltes étaient toujours abondantes, et personne ne songeait à vendre les bananes abondantes sur les bananiers. « Nous songions plutôt à les donner à nos amis et à voisins », dit-il.
Mais ces habitudes ont commencé à changer à la fin des années 1960. Au même moment, un microclimat s'est installé sur les hauteurs. En l'espace d'une décennie, les habitants de la région ont remarqué une hausse des températures et la levée du brouillard en raison de la disparition des arbres, coupés pour être transformés en bois d'oeuvre et en bois de chauffage. La région s'est asséchée à mesure que les sécheresses se prolongeaient et que la situation se dégradaient. Des pluies plus courtes mais plus irrégulières, frappant des pentes de plus en plus dénudées et escarpées, lavaient les cultures et la terre arable fertile en direction de la vallée, vers les rivières et l'océan Indien étincelant.
En raison des conditions météorologiques de plus en plus imprévisibles et de l'érosion continue des terres agricoles, très peu d'agriculteurs peuvent maintenant gagner leur vie en faisant pousser des bananes. Abdu Hamid, le fils de Mahmoud Hamidoune, âgé de 31 ans, est dans cette situation : il a vu le rendement de ses cultures chuter d’un tiers au cours des dix dernières années. « La forêt de bananiers était si dense que les arbres ne faisaient que grimper », dit-il. « Désormais, il faut dépenser beaucoup d'argent et recourir aux engrais, et pourtant ils meurent. »
Certains aliments largement disponibles dont dépendaient les villageois ont complètement disparu, comme le taro, un légume-racine qui poussait dans la forêt. Les denrées de base telles que la patate douce sont devenues rares à cause de maladies qui ont également ravagé les poivrons et les aubergines qui poussent désormais une seule fois par an contre plusieurs fois auparavant. Il est impossible de faire pousser des tomates qui peuvent uniquement être achetées dans les villes.
« Les pluies ont diminué et là où elles étaient abondantes, elles sont désormais très faibles », explique Mahmoud Hamidoune. Ses récits sur l'agriculture d'antan donnent à Abdu Hamid l'envie de vivre dans le passé. « À l’époque de mes grands-parents, personne n'avait d’outil électrique pour couper les arbres en quelques secondes », et les sols étaient si riches que les cultures poussaient pratiquement toutes seules, dit-il.
Mais au départ des forêts situées au sommet de la montagne jusqu'à Hadda et au-delà, on peut voir une file constante d'hommes, de femmes et d'enfants portant des branchages gros et petits bois ramassés et coupés à l'aide de petites haches ou de machettes.
Asmina Abdu Hussein fait partie des nombreuses personnes qui passe toute sa journée à ramasser suffisamment de bois pour cuisiner pour sa famille. « Je fais ça tous les jours. Je pars à 6 heures du matin et je reviens à 17 heures », dit-elle. « Cela me prend beaucoup de temps maintenant parce que beaucoup de forêts ont été abattues. »
Tandis que certains rêvent que le climat redevienne comme avant et que leur destin agricole change, d'autres abandonnent leurs champs pour tenter leur chance dans les villes ou risquent la mort ou la déportation en essayant de s'expatrier.
La pointe sud d'Anjouan est en effet connue pour être le principal point de départ des Comoriens qui tentent d'émigrer illégalement vers le territoire français de Mayotte, une île voisine des Comores, afin de pouvoir travailler et envoyer de l'argent à leur famille.
Anjouan Youssouf Elamine, directeur des forêts et de l'environnement au ministère à Moroni, capitale des Comores sur l'île principale de la Grande Comore, affirme que la migration était directement liée à la dégradation des terres agricoles.
« Les conséquences sont particulièrement dramatiques pour Anjouan, car la forêt de cette île est vraiment touchée », dit-il. « Si nous ne faisons rien, la désertification se poursuivra et affectera réellement les populations, que nous avons déjà vues se déplacer d’une région à l’autre : le sol n’est plus exploitable. »
Demander aux habitants de ne plus couper les arbres pour sauvegarder leurs sols est difficile dans un pays où près de la moitié de la population vit avec moins de 1,25 USD par jour. « Les habitants abattent beaucoup d’arbres », explique Ahmed Gamao, qui gère les projets d’adaptation au changement climatique du ministère de l’Environnement des Comores. « 70% de la population rurale dépend du bois pour leur survie quotidienne ou pour sa vente ».
Avec le soutien du Fonds pour les pays les moins avancés du Fonds pour l’environnement mondial, ONU Environnement collabore avec le gouvernement des Comores et ses partenaires pour revitaliser 3 500 hectares de forêts et de bassins versants. À partir de décembre 2018, le partenariat assurera la plantation de 350 000 arbres par an dans les trois îles, tout en soutenant ces efforts de reboisement par un renforcement des capacités aux niveaux national et communautaire.
À Anjouan, le projet aide les habitants de cinq communautés à comprendre l’importance de la forêt et à comprendre pourquoi certains bassins versants situés au sommet des montagnes doivent être protégés et restaurés afin de reconstituer le sol et l’alimentation en eau.
Les communautés suivi une formation expliquant dans quelle mesure les niveaux croissants de dioxyde de carbone dans l'atmosphère modifiaient les conditions météorologiques et les températures, ainsi que la nécessité de préserver les forêts qui attirent les pluies, fournissent de l'ombre, empêchent la nappe phréatique de s'évaporer et ralentissent les mouvements du sol.
« J’ai pris conscience que nous ne savions pas comment protéger notre terre, nous la tuions », explique Faharddine Soumaila, une agricultrice âgée de 33 ans. « Mais grâce à ce projet, nous en apprenons beaucoup sur l’érosion et sur la manière de l’éviter, car les pluies la charriait jusqu’à la mer. Nous savons maintenant que nous pouvons planter certaines plantes pour empêcher les mouvements du sol et nous pouvons en parler aux autres agriculteurs et leur expliquer de quelle façon les arbres protègent et nourrissent le sol. »
Faharddine Soumalia et Hamid avaient tous deux constaté que la déforestation rendait les terres beaucoup plus sèches, mais ils avaient également conscience que les personnes qui abattaient des arbres pour les vendre n'avaient pas d'autre choix. « La pauvreté est si terrible que bien que nous avions constaté l'impact sur le climat, nous savions que nous avions besoin d'un véritable soutien à long terme pour changer les choses », a déclaré Hamid.
La prochaine phase du projet contribuera à renforcer la résilience des populations face au changement climatique en soutenant le reboisement. En plus de fournir des plants d'arbres pour protéger les terres agricoles contre l'érosion, le projet vise également à rendre les forêts plus utiles aux communautés environnantes en plantant des arbres fruitiers et des espèces recherchées par l'industrie pharmaceutique pour la fabrication de médicaments et de cosmétiques. « Dans chaque village avec lequel nous travaillons, nous voyons des coopératives initier des pépinières », explique Ahmed Gamao.
Les habitants d’Anjouan sont impatients de participer au projet car s’adapter au changement climatique sur une île composée de nombreuses hautes montagnes avec des averses fortes mais de plus en plus sporadiques « n’est pas seulement important, mais est une question de survie », déclare Saindou Kassim, coordinateur technique au ministère de l’environnement.
« Nous avons été témoins de ce problème de l'érosion depuis un certain temps et des agriculteurs nous demandaient si quelqu'un viendrait financer un projet visant à empêcher ce phénomène », affirme Saindou Kassim, après avoir expliqué à un groupe d'hommes rassemblés sur une colline boueuse que planter des bandes d'herbe et des arbres autour de leurs cultures, permettra de retenir l'eau et de fournir des nutriments au sol. « Tout cela donnera aux agriculteurs la possibilité d'avoir des terres à nouveau fertiles. »
Mahmoud Hamidoune espère que les arbres récemment plantés ramèneront les oiseaux qu’il avait l'habitude de voir dans la montagne et aideront les habitants à conserver suffisamment d'eau pour faire pousser des tomates. Les espoirs d'Abdu Hamid consistent en des arbres vertigineux qui aideront les générations futures à se tourner vers l'avenir plutôt que vers le passé.
« Si nous ne sommes pas formés à la gestion des problèmes environnementaux, nos enfants n’auront rien pour leur avenir », dit-il. « Nous savons maintenant que nous souhaitons améliorer cette zone et faire en sorte que les arbres poussent. »
Pour en savoir plus sur le travail d’ONU Environnement en matière d’adaptation au changement climatique, veuillez contacter Jessica Troni.