D'Erik Solheim, chef d’ONU Environnement
Les pensions de retraite doivent être de nature durable. Après tout, elles sont censées apporter une certitude à long terme dans un monde incertain.
Une grande partie de la population active mondiale compte sur le principe fondamental de la retraite afin de pouvoir construire un pécule pour leurs vieux jours. Plutôt que de garder leur argent sous leur matelas, les travailleurs font confiance à des fonds d'investissement en espérant faire des paris sains.
Evidemment, l'hypothèse serait que les fonds de pension investissent dans des entreprises durables, ou des projets qui contribuent à une planète saine, qui sera encore en forme à l'âge de la retraite. Cela n'a pas toujours été le cas, mais le changement arrive.
En tant que gardiens d'un tel ensemble de capitaux, les caisses de retraite doivent répondre aux besoins des retraités actuels tout en veillant à ce que les futurs retraités disposent de fonds suffisants et d'un environnement viable quand viendra l'heure de la retraite.
Une attention particulière a été accordée à la première moitié de cette question, en particulier parce que les fonds de pension pourraient ne pas être en mesure d'honorer leurs engagements et de payer les retraites des retraités actuels en raison de l'évolution des taux d'intérêt, de l'allongement de l'espérance de vie et de la crise financière. Mais la deuxième partie de la question - l'importance d'un environnement viable - a été négligée.
Toutefois, les fonds de pension ont une responsabilité, appelée « obligation fiduciaire », de prendre des décisions prudentes et sans parti pris au nom et dans l'intérêt de leurs bénéficiaires. Pour être un investisseur prudent, il faut tenir compte de tous les facteurs de valeur de l'investissement à long terme - y compris les risques environnementaux et sociaux ainsi que les opportunités - qui peuvent affecter le rendement d'une entreprise.
Cela devient une considération majeure.
Les plus fonds de pension les plus importants du monde représentent près de la moitié du marché mondial des investissements. Leur valeur est estimée à environ 85 000 milliards de dollars, les décisions prises revêtent donc de profondes implications. Leur impact dans les salles de réunion est également énorme : l'année dernière, par exemple, la pression des actionnaires a poussé ExxonMobil à révéler son implication dans certaines activités responsables du changement climatique.
En effet, les effets socio-économiques négatifs du changement climatique se font déjà sentir. Les événements climatiques extrêmes ont coûté plus de 300 milliards de dollars aux États-Unis en 2017. Les crises causées par la pollution, dont le coût est estimé à 4 600 milliards de dollars par an (6,2% de la production économique mondiale en 2016) sont en augmentation.
Ces problèmes ne sont pas passés inaperçus : les gouvernements et les décideurs ont accentué la pression afin de les réguler. Aujourd'hui, il existe plus de 300 outils de politique d'investissement durable et des initiatives axées sur le marché dont plus de la moitié ont été lancées au cours des dernières années. Les mesures adoptées comprennent des exigences de divulgation des fonds de pension et des règlements encourageant les caisses de retraite à adopter des pratiques d'investissement responsable.
Depuis plus d'une décennie, l'Initiative de collaboration du Programme des Nations Unies pour l'environnement avec le secteur financier (UNEP FI) mène des recherches et plaide en faveur du rôle des investisseurs pour assurer la promotion d'un monde durable. Le programme de responsabilité fiduciaire au 21ème siècle a été fondé sur la prise de conscience du manque général de clarté juridique et la relation entre la durabilité et les obligations des investisseurs. Deux ans après le début du projet, plus de 400 décideurs et investisseurs dans plus d'une douzaine de marchés ont été engagés et interviewés pour sensibiliser les investisseurs à l'importance des questions de développement durable.
La dynamique favorable à davantage de réglementations est maintenant vérifiable dans le monde entier : des exemples de mesures ont en effet été pris en Europe, au Brésil, au Royaume-Uni et en Chine. En Europe, le plan d'action de la Commission européenne sur le financement durable comprend une proposition législative visant à clarifier l'obligation légale des investisseurs de prendre en compte les facteurs de durabilité dans les décisions d'investissement. Un changement de cette nature - sur l'ensemble de la chaîne d'investissement européenne de façon simultanée- constituerait une étape clé pour la transition vers un système financier durable.
Au Brésil, la Surintendance des fonds de pension privés (PREVIC), l'organisme de réglementation des fonds de pension fermés, a approuvé un révision qui permettra de clarifier les exigences pour les investisseurs comme l'intégration des questions de durabilité dans leurs pratiques et les processus d'investissement.
Au Royaume-Uni, le régulateur des retraites a mis à jour ses directives destinées aux fonds de pension à prestations définies et a adopté une position de plus en plus ferme au sujet des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance. Lors de la conférence sur les retraites du Congrès des syndicats en 2018, Guy Opperman, député conservateur et ministre des Pensions et de l'Inclusion Financière, a déclaré: « Je tiens à préciser que les administrateurs doivent tenir compte des risques financiers tels que le changement climatique. »
En Chine, le régulateur des valeurs mobilières (CSRC) met en place un cadre commun pour le rapport environnemental qui s'appliquera à toutes les sociétés cotées d'ici 2020. Cela stimulera fortement l'intégration des questions d'environnement, de société et de gouvernance par les investisseurs, ce qui va dans le sens des récents succès des directives nationales sur l'établissement d'un Système financier vert en Chine.
Les leaders de l'industrie commencent d'ores et déjà à adopter l'interprétation moderne du devoir fiduciaire et font en sorte d'harmoniser leurs stratégies d'investissement avec les objectifs de durabilité à long terme. Un intérêt accru pour l'investissement comme l'énergie éolienne et solaire émerge. L'an dernier, le fonds souverain norvégien, le plus important au monde (d'une valeur de plus de 1000 milliards de dollars sous gestion), a proposé de réduire ses investissements dans les sociétés pétrolières et gazières. Norges Bank Investment Management (NBIM), un membre de l'Initiative de collaboration du Programme des Nations Unies pour l'environnement avec le secteur financier et la branche de la banque centrale norvégienne qui gère le fonds, estime que cela le rendrait "moins vulnérable à une chute permanente des prix du pétrole et du gaz".
Ce fonds souverain a récemment rejoint le groupe d'investisseurs de l'Initiative de collaboration du Programme des Nations Unies pour l'environnement avec le secteur financier et participe au pilotage de la mise en œuvre des recommandations de l'Équipe spéciale du Conseil de Stabilité Financière sur le changementclimatique et les informations connexes à fournir (TCFD) afin de rendre compte de leur exposition stratégique aux risques et opportunités liés au climat.
D'autres investisseurs du secteur public prennent des mesures : Le Fonds d'investissement des pensions du gouvernement japonais (GPIF), le plus important au monde, a annoncé en juillet 2017 qu'il prévoyait d'augmenter son allocation d'actifs ESG de 3% à 10%. Au début de l'année, la ville de New York a annoncé qu'elle céderait 5 milliards de dollars de ses fonds de pension des énergies fossiles dans le but de « défendre les générations futures ». En respectant son devoir fiduciaire, les fonds de pension de la ville encourageront ainsi la durabilité tout en garantissant une pension de retraite à ses bénéficiaires.
Cependant, même si nous assiston à des progrès encourageant à travers le monde, les investisseurs doivent multiplier les efforts.
Aujourd'hui, près de 2 000 institutions financières sont engagées dans des investissements responsables - l'intégration de facteurs de durabilité matériels dans les processus décisionnels d'investissement - et sont signataires des Principes pour l'investissement responsable (PRI). Malgré ces engagements, la mise en œuvre n'est pas systématique.
Malgré la preuve qu'il est nécessaire d'investir de manière responsable, seule une poignée de régimes de retraite considèrent les facteurs de durabilité dans leurs processus d'investissement. Aujourd'hui, par exemple, 5% seulement des fonds de pension de l'UE ont examiné les problèmes d'investissement que posent les risques climatiques pour leurs portefeuilles.
Malgré le risque d'enfreindre leur obligation fiduciaire, de nombreux investisseurs ne tiennent pas compte des facteurs de durabilité dans leur prise de décision. Cependant, ne pas prendre en compte tous les facteurs de valeur de l'investissement à long terme, y compris les questions ESG, est un manquement à l'obligation fiduciaire.
Il est temps que les fonds de pension se montrent à la hauteur de la prospérité tout en protégeant la planète et ses habitants. Cette année doit être un tournant décisif : tous les investisseurs institutionnels doivent assumer leurs responsabilités en intégrant des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs processus, sous l'impulsion d'une clarification réglementaire concernant les obligations des investisseurs et la durabilité.
Si ça n'est pas le cas, dans quelles conditions sera la planète sur laquelle nous prendrons notre retraite ? Est-il temps que vous demandiez au gestionnaire de votre caisse de retraite, si votre pension est durable?
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